LE PENSIONNAT SAINT PIERRE DE 1848 A 1929
A qui l’établissement du boulevard Dubois doit-il son nom ?
Aux initiateurs, bien sûr, les époux de Couasnon, mais quel fut le motif de leur choix ? Aux circonstances qui ont entouré leur généreuse initiative: le couronnement d’un Pape. En effet, M. et Mme de Couasnon se trouvent à Rome au moment de l’élection de Pie IX en 1846 (le Pape qui dépasse en longueur - 32 ans - hormis St Pierre, le pontificat de Jean-Paul II). On sait que les cérémonies eurent lieu dans un enthousiasme extraordinaire; c’est dans ce contexte de ferveur que les époux de Couasnon décident de faire une nouvelle œuvre à Dreux: une école.
Ils se rendent à cet effet chez le Supérieur général des Frères des Ecoles Chrétiennes qui résidait alors, non comme de nos jours à Rome, mais à Paris. Les débuts seront modestes, comme en témoigne une lettre de Mme de Couasnon au Frère Calixte, assistant, en date de juillet 1847, demandant aux Frères de s’engager à maintenir à Dreux une école de trois Frères: c’est un externat, ouvert en octobre 1848.
L’école devient le Pensionnat St Pierre en l’année 1855. Rappelons que Mme de Couasnon a donné pour cette œuvre sa propre maison dont il reste, encore visible, un joli pavillon de style Louis XIII. Les autres bâtiments seront édifiés petit à petit pour constituer cette imposante masse bien visible dans Dreux que vient couronner une chapelle dans les années 1890. La propriété était importante. Le boulevard de la gare, d’où on a le meilleur point de vue de nos jours, l’a amputée assez tôt. A regarder les chiffres, les Frères sont restés plus longtemps rue St Martin: 56 ans, qu’au boulevard Dubois: 44 ans. C’est une première période glorieuse avec comme directeurs un Frère Léon de Jésus dans les années 1870 qui mourra selon l’expression en usage « en odeur de sainteté », un Frère Adolphe-Marie dans les années 1880… Pour ne citer que deux Frères directeurs, noms qui nous sont parvenus par l’impressionnant travail d’historiographe d’un membre de la dernière équipe de Dreux au moment des expulsions: le Frère Albert-Valentin (1879-1970) - Monsieur Léter - comme on l’appellera à Rouen au Pensionnat que cette équipe prendra en charge en 1904, avec le Frère Charles Collier comme directeur. Le Frère Michel Dumont, dans une des allocutions du second départ des Frères de Dreux en Juin 1973, citait également les noms de Frères Blanpain, Granjean, Vinson et Dubey.
En effet, alors que l’école est en pleine prospérité (sous la houlette depuis 6 ans du Frère Abrosimien) comme tout l’Institut des Frères qui atteint alors une apogée - J.B. de La Salle vient d’être canonisé en 1900 par le Pape Léon XIII -, la mise à exécution de la Loi de 1901 sur les Associations (et non comme on le croit souvent, même dans les milieux catholiques, de la Loi de séparation de décembre 1905) en étant refusée aux congrégations religieuses va jeter à la rue des milliers de religieux… Et beaucoup d’élèves. Je peux glisser ici le souvenir d’un de ces élèves que nous sommes nombreux à avoir connu ensuite: Edouard Duval, élève de 1901 à 1904. En juillet 1978, je suis allé le voir au Rancher ayant appris qu’il « avait beaucoup baissé » (il est décédé le 8 septembre). J’ai eu la joie de passer deux jours près de lui, où il m’a raconté des souvenirs anciens « en 1904 à l’expulsion des Frères, j’avais en tout et pour tout le Brevet Elémentaire (Il n’avait que 16 ans et n’avait pas encore orienté sa vie). Que faire ? Je suis allé travailler chez un oncle dans une ferme (c’est là qu’il contracte la grave blessure au pied qu’il traînera toute sa vie). 1908, service militaire, vers 1911, entrée au séminaire ». Il est ordonné le 29 Juin 1918 à Paris dans la hantise des tirs de la « grosse Bertha. »
Pour l’instant, c’est l’ultime distribution des prix en ce juillet 1904 et, au cours d’un repas, 300 anciens décident de fonder l’Amicale des Anciens Elèves des Frères de Dreux. En 1906, on comptait 600 amicalistes. Un bulletin est imprimé (chez Firmin Didot au Mesnil sur l’Estrée dont le directeur de fabrication est Théotiste Lefèvre, père d’un ancien élève ayant le même prénom).
En 1973 , en partance pour le Rancher et rangeant ses affaires, l’Abbé Duval avait retrouvé et m’avait confié quelques Bulletins de ces toutes premières années de l’Amicale. C’était, bien sûr, un annuaire, mais j’y ai glané également, à l’époque, les raisons d’être profondes de l’Amicale: « entretenir et fortifier les principes de foi et d’honneur que les anciens élèves ont reçu chez les Frères. Conserver et étendre les relations. Faciliter aux plus jeunes le choix d’une carrière. Maintenir l’Oeuvre des Messes. » Les réunions annuelles de l’Amicale et les activités diverses y étaient mentionnées. Dans son imposante monographie sur « St Pierre », imprimée au Mesnil dans les années 1910, le Frère Albert-Valentin exprimait au milieu de ces tribulations l’Espérance chrétienne avec cette phrase: « L’Eglise est une éternelle recommenceuse » et aussi: « tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, le Pensionnat St Pierre refleurira sur le sol druide. »
Pour conclure, à propos des imposants bâtiments, cette anecdote amusante sur la chapelle: quand elle a été transformée en musée de la Ville de Dreux, dans les années 1950, le maire de l’époque contacta le Frère Directeur: « Ne voulez-vous pas récupérer cette belle statue au-dessus de la porte d’entrée ? ». Le Frère Ange-Bernard déclina la proposition… Il avait peut-être pensé que St Jean Baptiste de la Salle veille sur les enfants de l’école St Martin…
Pour l’heure, les Anciens se multiplient en initiatives pour un retour des Frères à Dreux: on connaît surtout cette magnifique démarche de Paul Hurel auprès du Supérieur général - alors réfugié en Belgique - et se mettant à genoux à ses pieds, déclarant qu’il ne se relèverait pas avant d’avoir l’engagement qu’un jour les Frères reviendraient à Dreux. Les mentalités avaient changé positivement en France depuis la Grande Guerre. Le 21 avril 1929 la réouverture était annoncée. Le Frère Albert-Valentin Léter - dont c’était l’anniversaire - dira plus tard « celui qui m’aurait dit ce jour là que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue aurait passé un mauvais quart d’heure. »